Gaz de schiste : la fin de l'imposture en Europe ?

Tandis que nos médias  répètent que le gaz de schiste permettrait de faire une ''guerre économique'' à la Russie, Total et presque toutes les autres compagnies renoncent au schiste polonais...  et des informations négatives arrivent à ce sujet : 

 

''L'euphorie est finie'', constate Le Monde, qui a pourtant fait campagne et fera de nouveau campagne pour le gaz de schiste en France... Après Exxon, ENI, Talisman et Marathon Oil, Total vient d'abandonner les forages en Pologne. Un vaste mouvement de révolte se développe parmi les paysans polonais, dont rend compte le film de Lech Kowalski Holy field, holy war [1] : mouvement dirigé non seulement contre les gaziers euro-américains mais contre le Premier ministre polonais à leurs ordres (le ''libéral-conservateur''[2] Tusk). Il faut voir ce film, dominé par la séquence entre les paysans et Chevron, ainsi commentée par Kowalski : ''La société Chevron pensait pouvoir s'installer en Pologne et faire comme bon lui semblait, mais elle se heurte à une résistance de plus en plus forte, bien que le gouvernement soutienne entièrement l'exploitation du gaz de schiste en Pologne. En voyant cette scène, les spectateurs suivent un cheminement qui leur permettra de comprendre qu'une chose effrayante est en train de se produire sur notre planète.'' Cette chose est la destruction de l'environnement, et du mode de vie des paysans, par la machinerie productiviste.

Dans le cas du gaz de schiste, le saccage humain se double de pollution des nappes phréatiques (Pennsylvanie), de séismes locaux, de risques pour la santé publique...

….et d'une colossale imposture. Car le gaz de schiste n'est pas la manne annoncée par les communicants des pétrogaziers et leurs journalistes embedded : en réalité, c'est un trompe-l'oeil économique ! Ce gaz ne profite qu'aux compagnies pétrolières, pas aux économies nationales. Et son exploitation est vouée aux rendements décroissants, ce que les compagnies masquent en multipliant les forages – véritable fuite en avant pour des profits immédiats :  un nouveau puits toutes les douze minutes aux USA, à 50 millions de dollars l'unité... Cette fuite en avant ne se voit pas trop dans les grands espaces américains, mais elle serait une catastrophe dans le petit Hexagone. Ou en Pologne.

Dans ce dernier pays, à tout cela s'ajoutent des conditions géologiques qui rendent les forages difficiles. D'où le désappointement des compagnies étrangères, et le désarroi de leurs amis à Varsovie : ''Tout est allé trop vite et maintenant la situation est compliquée'', explique un spécialiste polonais au Monde (16/01).

Bien entendu, les idéologues libéraux – là-bas comme à Paris – expliquent que si le pays n'est pas déjà hérissé de forages, ce doit être d'une façon ou d'une autre ''de la faute de l'Etat''... Mais cet argument est dérisoire dans un pays gouverné par des libéraux acquis aux pétrogaziers. Les idéologues s'en prennent donc aux quelques rares (et faibles) mesures envisagées pour protéger les paysans ; ils les qualifient de ''fureur régulatrice'' et les accusent d'avoir fait de la peine aux conseils d'administration.

Mais quelle que soit la gravité des objections au gaz de schiste, beaucoup de chroniqueurs parisiens réintroduisent leur argument-clé  – qui n'est pas scientifique. Si nous devons, disent-ils, ignorer les objections et transformer la Drôme et les Cévennes en champ de forages à l'américaine, c'est pour ne plus acheter de gaz russe... Car il faut faire la guerre à la Russie, au moins sur le plan économique ! Vous ne le saviez pas ? Ce n'est pourtant pas faute de l'entendre dire matin et soir.

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[1]  "libéral conservateur" : synonyme de "cercle carré".

 [2] ''Ce film suit les bouleversements du quotidien de paysans polonais avec l'arrivée des premiers gisements. Lech Kowalski s'arrête sur les regards, filme, comme personne, les femmes et les hommes au travail et rend compte du massacre écologique et sanitaire en cours. Flippant.'' (L'Express, 24/03)